Voici une petite nouvelle d’un genre différent de mes autres écrits déjà publiés… Ecrite au réveil, après une nuit de mauvais rêves, j’espère qu’elle vous plaira…

 

Une soirée entre filles

               C’est l’été à Paris. Il fait bon vivre du côté de Montmartre en ce début de soirée. Ni trop chaud, ni trop froid, un temps parfait dont les parisiens espèrent profiter longtemps.

Dans une petite ruelle au bas des marches, une voiture occupée par deux jeunes filles se noie dans la cohue des véhicules. Même en semaine, le quartier reste très fréquenté, mais ce n’est pas ce qui va gâcher leur soirée. A force de persévérance, elles vont bien finir par réussir à se garer, il est encore trop tôt pour envisager de changer de programme.

Louise et Nina, 25 ans chacune, chantent à tue tête dans leur Twingo, couvrant le son d’un GPS qui semble plus perdu qu’elles. Tout est susceptible de les faire rire ce soir, elles sont dans ce que Nina appelle une bonne passe. Louise vient de se voir proposer le boulot de ses rêves au sein d’un magazine féminin réputé ; quant à Nina, son ex petit ami vient de prendre le large et bon débarras ! Elle peut désormais penser à elle, après tout ne dit-on pas « qui veut être libre ne craint pas la solitude » ? Nina se sent libre mais n’est pas seule, sa sœur d’âme l’accompagne ; elle est heureuse comme elle ne l’avait plus été depuis plusieurs mois.

Après une bonne demi heure à tourner en rond Louise et Nina ont enfin trouvé une place où parquer leur voiture. Elles ne savent pas exactement où elles sont mais après tout peu importe, le lieu ne compte pas ce soir.

Essayant de se repérer, elles observent bâtiments et noms de rues aux alentours. Face à elles se trouve une petite maison sur deux étages, encastrée entre deux immeubles banalement gris. A côté de la porte entrouverte, une plaque dorée indique Touristes, ici la plus belle vue de Paris. Etonnées, les jeunes filles décident d’entrer, après tout en prendre plein les yeux ne pourra que leur ouvrir l’appétit avant de réellement commencer la soirée.

La porte d’entrée franchie, elles se retrouvent dans une grande pièce quasiment vide. Sorte de grand hall uniquement meublé par un meuble servant d’accueil, derrière lequel se tient une vieille femme chinoise.

Les politesses passées, la vieille femme leur propose de se diriger à sa gauche où un grand escalier en bois sombre les mènera à l’étage. Là, elles verront deux portes et devront prendre celle située en face de l’escalier pour accéder à la Pièce d’Observation.

A la manière du hall d’entrée, cette autre salle est très peu meublée. Face à la porte se trouve un immense velux. Sur la gauche, un petit meuble probablement du même bois que l’escalier est disposé de façon à ce que les visiteurs puissent prendre appui pour rédiger leurs notes ou pour réaliser leurs croquis.

Les deux filles sont euphoriques, comme après quelques verres. Mais il n’en est rien, juste la vue qui leur donne une impression de liberté. Voir Paris ainsi leur procure l’impression de posséder le monde. Un seul regard l’une vers l’autre suffit à déclencher leur fou rire.

La nuit commence à tomber sur la ville ; mais la soirée ne fait que commencer pour elles. Louise et Nina doivent maintenant partir à la recherche d’un restaurant sympa qui les accueillera le temps de recharger leurs batteries pour la suite de la nuit. Ce soir elles l’ont décidé, elles s’amuseront jusqu’au petit matin.

Alors qu’elles sont sur le pas de la porte de la Pièce d’Observation, elles remarquent que la seconde porte, sur leur droite, est ouverte sur une grande salle de bain. Carrelage, murs, meubles, tout y blanc. Curieuses, les filles décident d’y jeter un coup d’œil rapide. A peine elles ont passé la tête par la porte qu’une silhouette svelte à la longue chevelure brune se détache du mur et se tourne vers elles. C’est une jeune fille nippone. Son regard a l’air vide, comme si elle avait été droguée. Son visage inexpressif reflète l’image que l’on peut se faire des personnes sous anesthésiants dans les hôpitaux psychiatriques.

Soudain ses yeux se réveillent. Elle les fixe. Ses bras se tendent. Elle avance sur elles. Ss lèvres se retroussent comme les babines d’un animal. Elles dévoilent des dents aiguisées, prêtes à déchiqueter de la chair.

Effrayées par le changement si violent qui vient de s’opérer sur ce visage qui paraissant pourtant si serein et innocent, voire angélique, les filles se lancent un bref regard avant de détourner les talons.

Alors qu’elles sont sur la première marche de l’escalier, Louise et Nina se retournent vers la salle de bain. La vieille chinoise est là. Elle retient la jeune nippone en l’encerclant de ses bras pourtant si petits et fins. Ils paraissent si frêles que les jeunes filles se demandent comment ils arrivent à canaliser tant de fureur. La vieille chinoise chuchote quelque chose à la jeune fille qui parait se calmer peu à peu. Le regard empli de haine, elles observent leurs visiteuses.

Il ne faut pas traîner ici. Louise et Nina dévalent les escaliers. Au milieu de ceux-ci, elles croisent une autre jeune fille brune, probablement nippone elle aussi. Dans sa longue robe de nuit blanche, elle se balance, debout, à la manière d’une autiste. Elles ne prennent pas le temps de s’arrêter. Elles continuent leur descente en bousculant l’autiste.

Arrivées au pied de l’escalier, elles ne reconnaissent plus le hall d’entrée. A la place d’une salle d’accueil se trouve une grande salle à manger. Une table rectangulaire, toujours en bois sombre, traverse la pièce dans toute sa longueur. Et sur chacune des chaises qui l’encadrent sont assises des personnes semblant être les membres d’une seule et même famille. Bien que diverses origines y soient représentées, quelque chose dans le regard tant des adultes que des enfants les lie. Tout parait comme si durant le court laps de temps passé dans la Pièce d’Observation, les habitants avaient repris possession des lieux et oublié la présence des jeunes filles.

Quatre enfants sont présents. Le plus jeune est un petit blond à la coupe au bol et aux joues roses. Il ne doit pas être âgé de plus de quatre ans. Les trois autres sont des filles. L’une est une petite brune, coupée au carré, maigre, à la peau très blanche, presque anémique. Vêtue d’une robe rose, elle doit avoir entre sept et huit ans. Les deux autres paraissent avoir à peu près le même âge, une dizaine d’année. La petite en robe jaune canari a des cheveux châtain qui tombent sur ses épaules. Sa peau est dorée et ses jouent pleines, elle paraît en meilleure santé que la première. Cependant, une expression étrange se dégage de son attitude, elle semble moins sereine et beaucoup moins sure d’elle que la première ; elle baisse la tête comme si elle craignait quelque chose. Quant à la quatrième enfant, c’est une petite vietnamienne, un peu boulotte et plus grande que les autres. Un sourire en coin se dessine sur son visage, on pourrait croire qu’elle prépare un tour aux trois autres.

Les conversations sont agitées, toutes semblent se mêler les unes aux autres à tel point que rires et débats se confondent en un tout. Lorsque l’un des participants remarque la présence de Nina et Louise, tous s’arrêtent. Un silence pesant prend place et toutes les têtes se tournent vers elles. Interrogateurs, inquisiteurs, apeurés pour certains, tous les regards sont posés sur elles.

Stoppées dans leur élan par la scène qui s’offre à elles, elles ne savent comment réagir. Chaque millième de seconde semble s’éterniser. La plus petite, Louise, décide alors de prendre les choses en main. Il ne faut définitivement pas qu’elles traînent plus longtemps en ce lieu. La peur s’engouffre en elles de plus en plus, sentiment primitif qui remonte à la surface. Il leur faut partir avant qu’elles ne perdent le contrôle de leurs actes et de leurs paroles. Rien ne prouve qu’elles courent un réel danger. A force de lire et de regarder de l’horreur, Louise sait que son imagination est formatée à imaginer les pires scenarii.

Il faut agir, ne pas laisser le malaise et la peur s’insinuer plus longtemps. Alors Louise prend son amie par la main et avance d’un pas. Elle présente leurs excuses au clan qui leur fait face. Elles n’auraient pas dû s’attarder autant dans la Pièce d’Observation, pas à une heure si tardive.

« En effet » lui répond la vieille chinoise dans leur dos. Elle descend l’escalier, seule. Elle est la chef de cette étrange famille ; les autres ont baissé les yeux sous ses paroles. Maintenant ils l’observent. Ils guettent un mot de sa part pour savoir comment agir. « Partez maintenant » lance-t-elle aux visiteuses. Oui, c’est ce qu’elles souhaitent, quitter au plus vite ce cauchemar.

Elles s’apprêtent à ouvrir la porte lorsque le petit blond se jette sur Louise et lui mort sauvagement l’avant bras. Elle crie autant de surprise que de douleur. Du sang coule le long de son poignet, de sa main. De suite, Nina attrape l’enfant et le tend à bout de bras à une femme qui pourrait être sa mère. Louise est à la fois stupéfaite par la réactivité de son amie et tétanisée par la férocité de ce chérubin aux dents acérées. Tout le clan a les yeux grand ouverts sur elles. Alors sans plus tarder, Nina ouvre la porte sans tourner complètement le dos à ces êtres dérangés qui les fixent.

La porte est ouverte. Au moment où elles passent une première jambe à l’extérieur, la petite anémique se met à hurler. Un hurlement strident, à pleine bouche, qui révèle des dents plus aiguisées encore que celles du chérubin maléfique. Sans plus se poser de question, Louise et Nina prennent leurs jambes à leur cou. Les enfants leurs courent après. Ils rient si fort.

Les rires s’éloignent. Un regard en arrière. Tout le clan est devant la porte et les fixent toujours, en souriant. A leur tête, les bras croisés, la vieille chinoise observe son dîner s’éloigner pendant que ses enfants jouent. Elles devront bientôt revenir. Leur voiture est garée sur le côté de la maison. Et si elles ne viennent pas la chercher elles-mêmes, avec un peu de chance elles enverront des jeunes hommes plus charnus. Elles font toujours ça…

cauchemar